La seconde guerre du Golfe

Le face à face des blocs militaires a longtemps assuré la paix tout en déplaçant la géographie des conflits. Après la seconde guerre mondiale, n’a-t-on pas compté plus d’une centaine de conflits régionaux ? Ce qu’on appelle le Sud était devenu le théâtre de batailles qui n’étaient plus livrées au Nord. Le gain d’un camp était perçu comme une perte pour l’autre. Et si cette arithmétique sommaire est aujourd’hui dépassée, on voit comment elle a bloqué pendant près d’un demi-siècle l’évolution vers les règlements et les apaisements, comment elle a entretenu le malheur et le deuil des peuples déchirés, comment elle a servi de laboratoire aux rapports de puissance, comment elle a prolongé la dépendance de millions d’hommes qui s’étaient cru, un temps, maîtres de leur destin.(…) Je me garderai cependant d’un optimisme prématuré. Je mesure comme vous ce qu’il y a d’illusoire dans la vision d’un monde qui aurait soudain, et sans peine, trouvé sa voie. Les atteintes aux droits de l’homme restent multiples, criantes, insupportables. Des minorités ethniques et religieuses restent persécutées. Les intérêts n’ont rien perdu de leur brutalité. Le fort guette toujours le faible et l’opprimé mûrit sa revanche. Et pourtant, désormais, l’affrontement des blocs ne pourra plus servir d’excuse à ceux qui craignent le risque de la démocratie, à ceux qui croient pouvoir remettre à demain ce que l’on attend d’eux aujourd’hui, je pense aux problèmes Nord/Sud.

Dans un monde où personne, pas même les plus puissants, n’échappe à l’interdépendance des destins, il est tentant de rechercher dans le repli sur soi, une échappatoire comme si le seul moyen d’affirmer son identité, sa différence était de nier celle de l’autre, comme si ce besoin d’identité pouvait trouver une réponse dans la xénophobie ou le nationalisme. La conclusion qui sera donnée à la crise ouverte par l’agression irakienne, sera à cet égard exemplaire de même que le drame qui frappe le Libéria a valeur d’avertissement.

Si nous n’y prenons garde, la chance unique que représente la fin des blocs se changera en mauvais rêve.

Pour empêcher cette anarchie, pour exclure la raison du plus fort, pour éviter aussi qu’une alliance des puissants n’impose un ordre dans lequel les autres ne se reconnaîtraient pas, je ne sais d’autre réponse que le droit. Mais le droit n’est le monopole de personne, d’aucun Etat, d’aucune philosophie. Il exprime la volonté générale et n’est-il pas remarquable, à cet égard, que l’on assiste à l’émergence d’un accord presque universel sur des valeurs simples qui se nomment liberté, liberté de dire, de faire, de circuler, d’élire ses dirigeants, égalité, justice, respect du droit des gens, tolérance, acceptation de la différence ? Toutes valeurs qui privilégient le dialogue sur le rapport de force. (…)

Longtemps paralysée, l’O.N.U, 45 ans après sa naissance, se déploie sous nos yeux et apparaît enfin comme un véritable juge qui dit le droit et cherche à l’appliquer, remplissant de la sorte la mission assignée par la Charte de San Francisco. A partir de là tout va changer, du moins tout peut changer.  »

S’agissant de la situation au Koweit, dès le début de cette crise, François Mitterrand s’est montré décidé, s’il le fallait, à utiliser la force pour rétablir la légalité internationale mais uniquement dans le respect du cadre onusien. Cette autorisation de recourir à la force fut donnée par le Conseil de sécurité (résolution 678). Selon l’ultimatum fixé, les troupes irakiennes devaient avoir évacué le territoire du Koweït avant le 15 janvier 1991. Saddam Hussein n’ayant pas ordonné le retrait de ses troupes, dès le lendemain, François Mitterrand signe donc l’autorisation d’engagement des forces françaises dans le conflit.

«  Le Koweït est un état souverain, membre de la société internationale : au nom de quoi peut-on décider que cet Etat a cessé d’exister ? Au nom de la loi des avions, des chars et des canons ? Je précise que la France entretient de longue date d’amicales relations, avec l’Irak, qu’elle l’a soutenu à l’heure du plus grand danger lors de la guerre contre l’Iran dans le souci d’aider à préserver, sur cette frontière millénaire, l’équilibre historique entre Perses et Arabes, équilibre dont la rupture aurait eu des conséquences en chaîne sur le monde arabe tout entier jusqu’au rivage de l’Atlantique.

Des liens d’amitié ont été noués, en cette circonstance, entre les peuples irakien et français que je ne renie pas et dont j’espère, en dépit de tout, qu’ils résisteront à l’épreuve. Mais la France est d’abord au service du droit, tel que le définit ce juge entre les nations qu’est votre institution. Nous appliquons l’embargo décidé par le Conseil de Sécurité, nous contribuons à le mettre en Å“uvre. Nous avons envoyé à cette fin des forces aéronavales dans la zone du Golfe, mais nous n’avons accompli en cela aucun geste de menace ou de provocation.

Notre politique est la politique des Nations Unies. Nous avons, au demeurant, informé les autorités irakiennes que nous serions aux côtés de quiconque subirait dans la région une agression nouvelle. Notre action est défensive et non pas offensive, mais elle ne sera ni complaisante, ni complice. Une fois leur mission accomplie, nos forces quitteront la zone et rentreront dans leur pays. (…)

Que dire à l’Irak sinon que les conditions sont posées, qu’elles sont inscrites dans les résolutions du Conseil, qu’elles ont fait l’objet d’un accord unanime et qu’elles ne peuvent être révoquées ? C’en est-il fini de l’espoir ? N’y a-t-il plus de marge de paix ? On ne doit pas prononcer ce verdict. Plusieurs projets émanant notamment de Chefs d’Etat et de personnalités arabes ont ouvert d’utiles perspectives. Je m’en suis réjoui. La France a espéré que les pays de cette région du monde sauraient arbitrer entre eux les différends opposant deux des leurs. J’aimerais pouvoir déclarer de cette tribune que je l’espère encore. Il serait en effet désirable que fussent levés le doute, la suspicion, que provoque, fût-ce injustement, l’intervention armée de puissances occidentales. Mais la nation arabe n’a pas encore surmonté les divisions qui la séparent et l’on ne peut se contenter d’émettre des vÅ“ux pieux.

Faute de cette solution dont je répète qu’elle a ma grande préférence ou qu’elle aurait ma préférence, examinons dans quel contexte la diplomatie pourrait encore l’emporter sur l’embrasement. D’abord en parlant clair : je dis qu’il n’y aura pas de compromis tant que l’Irak ne se ralliera pas aux vues du Conseil de Sécurité. Oui, qu’il se retire du Koweït ! La souveraineté de ce pays pas plus qu’une autre n’est négociable.

Dans une seconde étape, c’est ainsi que je vois les choses, la communauté internationale qui a sanctionné l’agression serait à même de garantir la mise en Å“uvre du retrait militaire, la restauration de la souveraineté du Koweït et l’expression démocratique des choix du peuple koweïti.

Alors s’ouvrirait la troisième étape, celle que tout le monde attend sans trop l’espérer, tant elle paraît aujourd’hui hors de portée, ou que l’on redoute, parce que ce sera l’heure des choix : ce sera le moment de substituer aux affrontements qui meurtrissent le Proche Orient une dynamique de bon voisinage, dans la sécurité et la paix pour chacun.