Discours contre le plébiscite

Qu’est-ce que c’est que la souveraineté nationale ? Bien des gouvernements qui ne sont pas la République, bien des politiques qui appartiennent à des écoles différentes, ont dit, ont affirmé, ont prétendu qu’ils représentaient la souveraineté nationale ; qu’y avait-il de fondé dans leurs prétentions ?

Il n’y a moyen de se rendre compte de la légitimité de leurs prétentions qu’en examinant le fond même de l’idée de la souveraineté nationale. Pour moi, je la définis d’une façon expérimentale et je dis : la souveraineté nationale n’existe, n’est reconnue, n’est pratiquée dans un pays que là où le parlement nommé par la participation de tous les citoyens possède la direction et le dernier mot dans le traitement des affaires politiques. (Très bien ! à gauche.) S’il existe dans les constitutions, quelles qu’elles soient, qui ont la prétention de satisfaire le principe de la souveraineté nationale, un pouvoir quelconque qui puisse tenir le parlement en échec, la souveraineté nationale est violée. (Vif assentiment à gauche.) Ou bien il faut dire que le suffrage universel est en vérité bien gênant, il faut dire que l’on ne peut pas gouverner avec un pays où tous ont la prétention de se connaître aux affaires publiques, de s’y mêler et d’y peser pour leur part individuelle de souveraineté, quel que soit le degré de leurs lumières et de leur intelligence. En vérité, la politique va devenir tout à fait impossible ; et il se trouve pas mal d’hommes d’État assez enclins à prendre leur très réelle compétence, leur très vaste intelligence comme une fin de non-recevoir contre la participation du plus humble au droit et à la souveraineté politiques. (À gauche : très bien !)

Cela est vrai, mais cela est la négation de la souveraineté nationale. Eh ! bien, je vous dis que dans toute monarchie parlementaire et dans toute monarchie quelle qu’elle soit, même celles qui font semblant d’accepter le suffrage universel, la vérité, c’est qu’on ruse avec le suffrage universel, qu’on ne peut pas vivre directement avec lui, qu’on est obligé de l’enlacer, de l’entraver, de le diriger, de le corrompre, de l’exploiter, et que c’est là le moyen à l’aide duquel on vit ; mais il ne s’agit point des conditions de vie pour un gouvernement, il s’agit de souveraineté et de liberté pour les peuples. (Approbation à gauche.)